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Bords de vie

République Démocratique du Congo

Etat de prisons

Près de 7000 détenus croupissent dans les 52 prisons de la République Démocratique du Congo, dans des conditions inacceptables. Les chiffres ne prennent pas en compte les cachots  qui terminent les couloirs de tous les postes de police, les postes militaires et les auditorats. Arrestations arbitraires, détention abusive, ou impunité totale, les détenus ne reçoivent aucune assistance et peuvent attendre leur jugement durant des mois.

Nord-Kivu, Prison d’Etat de Béni.

 Plus de 150 détenus s’entassent dans les deux bâtiments qui encadrent une cour en terre battue. Trois fois plus de prisonniers que ce qu’ils seraient capables de supporter… Au fond de la cour, un lavoir délabré qui sert à tout et à tous. Toilettes, cuisines, blanchissage... Tout se fait devant le regard des autres. Les enfants n’échappent pas à la règle. Les détenues non plus. Le principe de séparation n’existe simplement pas.

La prison n’a jamais été réfectionnée depuis sa construction en 1935 par les colons belges. Juste une couche de peinture et un tanker d’eau apportés par une ONG internationale il y a déjà cinq ans. Coup de frais éphémère qui n’a pas laissé de traces. La charpente d’un des dortoirs s’est écroulée sur les détenus lors d’un de ces coups de vent qui rythment  la saison des pluies. Tous s’entassent maintenant dans  un bâtiment de 70 mètres carrés qui portent lourdement les cicatrices des évasions.  Les détenus se sont chargés eux-mêmes du colmatage. De la boue séchée qui ne cherche qu’à s’évader, elle aussi. Il suffit d’attendre une autre grande pluie pour appuyer sur le ventre mou du mur.

Militaires, civils, hommes, mineurs, marginaux et malades psychiatriques se supportent dans une société fermée où chacun ne tarde pas à reprendre son rôle. Les enfants subissent, les femmes subissent, les malades meurent, les businessmen font du business, et les militaires commandent. Cet ancien officier, en attente de jugement, donne des ordres à ses co-détenus… et à ses geôliers. La garde le salue en claquant des talons et en montant la main au béret chaque fois qu’il passe la porte centrale. Il sort tous les midis. Et il revient chaque soir. Pour « ces affaires », me répondent les matons. Ils sourient de ne pas avoir à  en dire plus. Il reçoit aussi dans sa cellule, transformé en bureau. Une des deux cellules individuelles, habituellement réservées aux femmes. Mais il assure qu’il n’a pas « chassé » les deux détenues qui y croupissent, « par humanité », dit-il en souriant. Au contraire, il leur « offre une protection »... Son escorte campe devant la porte de la cellule, désinvolte.

 

Derrière un pupitre d’écolier, il plaide sa cause : il ne sait pas pourquoi il est là, incarcéré. Comprenez, on lui reproche d’avoir battu deux femmes. Voici sa version : «  Je commandais une compagnie. Nous faisions halte dans un village. Trois de mes soldats étaient blessés. J'ai demandé alors à des femmes du village de les soigner, et de servir de porteurs à leur place. Elles ont refusé. Je les ai punies. Et on me reproche quoi ? De ne pas être humain ? Mais moi je voulais pourtant prendre soin de mes soldats ? C’est mon rôle en tant qu’officier, non ?" Elles sont mortes sous les coups de fouet.   Il demandera sans rire de l’aide pour défendre son cas auprès des instances internationales.

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Il geint devant ce môme. Un môme, avec une tête de môme, qui se souvient avoir 13 ans, et déjà trois ans d’armée. Il est condamné à mort. En violation de toutes les règles internationales sur le droit des enfants. Il raconte : cette nuit-là, il était l’escorte de son commandant. « Il voulait des femmes. Mais comme elle refusait, il les a abattues. Lorsqu’il a été jugé, il a dit que c’était moi. Je n’ai trouvé personne pour dire le contraire ». Le môme n’a pas fait dix minutes devant le tribunal militaire.

« Patron, donne moi des unités ! » On vient me demander des unités prépayées, « des celtels », pour recharger un  téléphone portable. «Je suis businessman ». Un deal n’a pas tenu avec un colonel du coin… Il le dit en riant. Lui aussi sort tous les jours de l’enceinte et revient avec ses sbires « les poches pleines de cadeaux ». Son business s’est élargi. Il prête sur gages, et accepte les hypothèques comme paiement. Il accepte tout ; des vélos, des tôles, des parcelles, des filles. Ses lieutenants font le tour des adresses qui doivent rembourser au cours de la journée.

L’autre cellule individuelle, flanquée au milieu de la cour, abrite un groupe de femmes. Abrite…la porte ne ferme pas, et la cellule devient le rendez-vous de ceux qui ont encore quelque chose à troquer ou à vendre. La prison a son bordel. Les matons en profitent également. La détenue la plus ancienne, condamnée à mort pour avoir tué son enfant, est devenue la maquerelle. Trois des filles sont enceintes. Les dernières arrivées peuvent encore le cacher, ou l’ignorer.  Difficile de leur parler en échappant à la masse de tous les curieux. Histoire tragique. Histoires de guerre. La plus jeune est emprisonnée pour avoir abandonné son enfant, né d’un viol ; son propre père l'a dénoncée. Sa voisine est là pour avoir volé une radio. Pas plus que ça. Viols, tabassages, sévices, viols collectifs, et finalement prostitution au tarif d’une petite protection pour éviter un traitement bien pire… et pour manger un peu, même si ce n’est pas tous les jours. Les bénéfices sont partagés avec les services pénitentiaires. «  Mais que voulez-vous ? Nous n’avons pas les moyens, nous-mêmes ne savons pas si nous allons faire manger nos familles demain. Les détenus doivent se débrouiller pour manger », explique le directeur de la prison. C’est à la famille de prendre en charge le détenu. Tant pis pour lui s’il n’a pas de famille ou si elle habite à 150kms. C’est Dieu qui l’a voulu ainsi.

 

Dans d’autres prisons du pays, le directeur fait travailler les détenus dans des travaux champêtres pour «  leur permettre de gagner un petit rien ». Et un peu pour lui aussi. Pour le prisonnier, le petit rien est parfois un rien seul. Des dizaines de détenus meurent de faim chaque année dans toutes les prisons du pays, après avoir été réduit à l’état d’os. La prison de Mbuji Mayi, dans la province du Kasai Oriental au centre du pays, tient la tête de liste. Tout le monde regarde, sans protestation. On se moque, même. Ici, un gars traîne sa septicémie au fond du dortoir. On passe par-dessus, en attendant qu’il arrête de cracher son sang. Les faibles restent les plus faibles, et les plus forts deviennent des caïds.

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La situation est connue de tous les rapports. En 2005, la MONUC (Mission des Nations unies au Congo) publiait déjà un rapport sur les conditions d’incarcération dans 33 prisons du pays. Le document était accablant, ne mentionnant que « des états de délabrement, de vétusté, de surpeuplement, de  manque de... d’absence de... d’insalubrité, de malnutrition, d’utilisation excessive de la détention préventive exagérément prolongée ». Et de tortures.  Mais on ne le mentionne nulle part. Depuis, la situation ne s’est pas améliorée. Dans un rapport publié début 2009, l’ONG internationale Avocats sans Frontières dénonce les conditions de détention et la surpopulation causée par l’usage abusif de la détention provisoire, au mépris de l’article 17 de la constitution qui considère pourtant que la liberté provisoire est la règle, la détention restant l’exception. Plus des trois quarts des détenus seraient dans ce cas. Un moyen d’extorquer de l’argent à tous les niveaux de hiérarchie de la justice militaire ou civile. La liberté s’obtient d’abord par de l’argent. Il faut payer pour faire avancer son dossier. Le gouvernement le reconnaît, mais repousse régulièrement le débat sur la réforme pénitentiaire. Prochaine échéance annoncée, un avant-projet de loi qui devrait être présenté avant le 31 décembre 2009.

A Béni, moins de trente  prisonniers ont été jugés. Les autres attendent  depuis parfois 10 mois la décision des juges. Et pour attendre, ils dorment sur la crasse de la terre battue qui absorbe les vomissements et les diarrhées des malades. Pour ceux qui marchent encore, il y a un bidon en plastique coupé en deux, au milieu du dortoir. Les sanitaires sont inutilisables depuis longtemps. Tout sera jeté dans un coin de l’enceinte, là-bas, ou on laisse les cadavres « quand ça arrive ». Et ça arrive.

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